Pour célébrer la 200ème promotion du cursus « Entrepreneur du Bâtiment » le 22 janvier, nous avons eu le plaisir de présenter une conférence ayant pour thème : « Entreprendre, les clefs pour demain ».
Ce 22 janvier, la FFB nous accueillait en ses locaux parisiens. Nous y avons écouté Birame Gueye, entrepreneur, ingénieur et professeur au CESI et au sein de l’ESJDB. Il récapitule ici les principaux messages de sa conférence, « Entreprendre : les clés pour demain ».
Question : votre conférence a plongé d’emblée l’auditoire au cœur du contexte économique international d’aujourd’hui. Quelle était votre intention première ?
Birame Gueye : J’ai voulu affirmer que, quelle que soit sa taille, toute entreprise évolue au sein d’un environnement qui évolue lui aussi. Aucune n’est figée. J’ai pris la parole après Monsieur Chanut, président de la FFB, qui le rappelait : le contexte est à la fois source d’innovations extraordinaires, et de dangers pour qui estimerait pouvoir les ignorer. Le secteur du BTP est concerné autant que les autres.
Nous avons voulu offrir aux entrepreneurs des points de repères précis, pour étayer leur projet.
J’ai d’abord rappelé la théorie du « cygne noir ». Que dit-elle ?
Elle est aussi appelée la théorie des évènements rares qui peuvent être à l’origine des turbulences qui impactent les environnements interne et externe des entreprises !
Un événement dont la probabilité de se produire est tellement faible que l’on n’imagine pas qu’il se produira un jour, mais avec un impact qui en sera d’autant plus fort et marquant que l’on ne l’oubliera jamais. Exemple : 11 septembre 2001, Fukushima, etc.
La période présente relève de cette catégorie : la numérisation de toutes les activités humaines, nous fait vivre des mutations considérables et inédites, aux plans de la consommation, de la communication, du travail.
On assiste par ailleurs à un rééquilibrage des puissances économiques : depuis trente ans, les PIB des pays qu’on qualifiait « d’émergents », rattrapent voire dépassent ceux des anciennes « puissances économiques » ; avec pour conséquence l’internationalisation des concurrences. De plus, ce rééquilibrage se produit à une vitesse extraordinaire : en vingt ans à peine, une ville comme Shenzhen, près de Hong-Kong, s’est davantage transformée que Paris en un siècle !
J’ai ensuite évoqué une date symbolique : le 29 juin 2007, date de naissance du premier I-Phone. En dix ans, ce sont toutes les relations entre l’entreprise, ses clients, ses salariés, qui s’en sont trouvées totalement bouleversées. En dix ans, ces acteurs majeurs que sont les « GAFAM » (1) ont pris les rênes de l’économie mondiale… Et eux-mêmes se voient à présent concurrencés par les « BATX » de l’économie chinoise (2), qui affichent des taux de croissance jamais vus dans l’histoire.
Voilà la scène où les jeunes entrepreneurs doivent jouer leur partition ; aucun d’eux ne peut travailler sans connexion, 4G ou fibre. Il doit être joignable, et capable de communiquer sur tout support. Quelle que soit la taille de son entreprise, les tablettes et smartphones sont devenus des outils de travail. Et le travail même s’en trouve bouleversé : télétravail, travail collaboratif, etc.
Le numérique a changé la structure type des entreprises. Dorénavant elles sont mobiles et ultra-connectées. Le portrait type des dirigeants a aussi évolué, ils sont équipés et technophiles, certains sont écoresponsables et socialement engagés.
Estimez-vous que les entreprises françaises, notamment celles du BTP sont dans les temps pour assumer ces enjeux ?
BG : Je cite volontiers comme une formule, le titre de ce livre de Jean-Louis Beffa, ancien patron de Saint-Gobain : « se transformer ou mourir ». À côté des start-ups, les grandes structures des vieilles nations européennes, les leaders, ont pris un retard certain, et dans tous les secteurs. Elles doivent s’emparer des outils et opportunités de l’économie numérique, non pour copier « l’esprit start-up », mais pour conduire leur propre révolution digitale. Plutôt qu’une série de contraintes ou menaces, elles doivent y voir des opportunités, bien sûr adaptées à la taille, et au projet.
Précisément, quelles difficultés et opportunités nouvelles imaginez-vous pour les entrepreneurs des TPE ou PME ?
BG : Les entrepreneurs de notre secteur doivent déjà définir clairement leur stratégie. Certains préfèreront rester indépendants, à taille humaine, à l’écart des grands acteurs de la place. D’autres affirmeront au contraire une volonté de grandir, et coopéreront avec les « majors ». Toutes les options sont possibles, mais il faut être au clair sur cette question.
Des contraintes apparaissent — transitions énergétique et écologique — qui se conjuguent avec la révolution technologique en cours (outils numériques, robotisation, invention de l’imprimante 3D) pour faire émerger des pratiques entrepreneuriales inédites.
Dans le secteur du BTP, on voit que des concurrences toujours plus fortes touchent les entreprises de toutes tailles ; y compris les TPE, qui se retrouvent face à des travailleurs détachés, payés moins chers qu’eux-mêmes, pour un délivré identique.
À cela s’ajoute l’arrivée prochaine sur le marché du travail de ceux qu’on appelle « millenials » (3). En 2025, ils représenteront en France 46% des travailleurs actifs. Ils sont nés avec ces outils, ont grandi avec eux, leurs codes sont différents : ils auront des relations et des attentes nouvelles face au travail, à son organisation, aux échanges. Il faudra les manager autrement ; et donc s’y préparer dès à présent.
Au chapitre des opportunités, les outils digitaux permettent l’accès à plus de marchés et un meilleur suivi opérationnel et financier des projets grâce aux :
– Capteurs pour l’optimisation ou l’accélération de chantiers,
– Objets connectés pour améliorer la performance énergétique,
– Plateforme de gestion de projet via BIM,
– Relevés de chantiers via Drones,
– Prévention des risques d’accidents via Cobotique, EPI connectés, exosquelettes,
– Etc
La qualité de la relation client est déjà, mais demain sera primordiale pour les entreprises du BTP. Et cela vaudra pour les trois phases du travail : avant le chantier, dans la phase de prospection et de marketing ; durant le chantier, dans la qualité et la précision du travail effectué ; et après le chantier, pour satisfaire et fidéliser le client.
Vous avez conclu votre intervention, en évoquant les « 7 CO », que vous avez présenté comme un « mantra », c’est-à-dire un principe à ne jamais oublier. Pouvez-vous nous le rappeler ?
BG : L’entreprise digitale doit s’appuyer sur 7 CO. Pour prospérer, l’entreprise doit travailler « avec » et non plus « sans » ou « contre ». Elle doit s’ouvrir et reposer sur un écosystème réel, dynamique et efficace.
- « Cobot » : la cobotique est le domaine où collaborent l’homme et le robot, pour atteindre un objectif commun. Du point de vue de la sécurité des chantiers, de la pénibilité du travail, il y a là un champ extraordinaire d’innovations ou d’inventions à surveiller.
- « Coopétition » : c’est un mélange harmonieux, complémentaire, de coopération et de compétition.
- « Co-Construction »: ce que tous font, chaque jour, sur tous les chantiers, il faut veiller à le faire en meilleure intelligence.
- « Co-Working »: partager les espaces, les équipements, les infrastructures.
- « Collaborative »: élaborer ensemble la solution, dans la recherche d’un consensus.
- « Co-détermination » : partager les décisions, la gouvernance de l’entreprise.
- « Coopérative » : redonner du sens et de la valeur à ce vieux mot, qui évoque le partage des tâches et la mise en commun des apports de chacun.
Tout cela évoque naturellement la dimension de « réseau » et son importance. Pour tous ceux qui y sont passés, et y passeront, l’ESJDB par exemple a vocation à l’encourager : par la veille, l’information, la mise en commun des expériences, et encourageant les entrepreneurs à s’impliquer dans l’activité du secteur.
(1) Cet acronyme désigne les acteurs majeurs de l’économie numérique : Google, Amazon, Facebook, Apple et M
(2) Désigne les nouveaux Géants du web chinois apparus autour de 2010 : Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi
(3) La génération des jeunes adultes nés autour de l’an 2000.