Voici la suite de l’article publié en novembre reprenant le propos tenu par Édouard Bastien, président de l’ESJDB, le 18 septembre 2019, devant les participants de la promo Entrepreneur du Bâtiment de Normandie. Toujours aussi instructif !
Acte II : Croissance Externe, et rachat d’une petite structure
Il pouvait s’arrêter là. Gérer « Bastien » en bon père de famille. Il décide de la développer par croissance externe : racheter le fonds de commerce d’une petite structure de cinq ou six personnes.
L’important est alors de faire savoir son intention, et d’activer tous ses réseaux. Mais le vendeur éventuel, lui, souhaite rarement que cela se sache, commente Édouard Bastien : fuite des salariés, méfiance des fournisseurs, désertion des clients : une entreprise à vendre perd vite de sa valeur.
Par chance, Bastien rencontre deux vendeurs éventuels. Deux frères.
Celui qui en a la gérance me dresse un tableau désastreux de la situation. Le frère, qui travaille dans un grand cabinet d’audit, l’écoute, abasourdi. Puis, tombe de sa chaise lorsqu’il entend l’autre dire que la valorisation de l’entreprise par l’expert -comptable lui semble surévaluée de 60% ! Finalement l’entreprise sera rachetée au quart de l’évaluation initiale. Première leçon ? Les valorisations de départ d’un expert-comptable ne doivent pas vous impressionner !
Acte III : Deuxième Rachat, prévenir les salariés !
Sur sa lancée, Bastien rachète une deuxième structure, d’une taille comparable, à un homme devenu septuagénaire. Le dossier se monte, septembre arrive, et la signature… Je viens pour une réunion d’équipe, et le patron, cash, annonce : « messieurs j’ai vendu l’entreprise, voici votre nouveau patron, moi je pars en retraite, bonne chance à tous ! » A l’époque il n’y avait pas d’obligation de prévenir les salariés, ce que la loi Hamon a depuis instauré. Là encore, poursuit Édouard, il s’agissait je l’ai compris plus tard, d’un problème générationnel : les anciens dirigeants se préoccupaient très peu de management et de considération des salariés. On travaillait « à la dure ». Si vous reprenez une entreprise, prenez en compte l’impact que cela aura sur l’équipe en place : « à quelle sauce allons-nous être mangés ? » Inévitablement, ces questions vont trotter dans toutes les têtes, et souvent il faudra du temps pour apaiser les esprits.
Acte IV : Rassurer le vendeur !
Je me suis ensuite penché sur le rachat de l’entreprise Trébulle, dont j’ai d’ailleurs conservé le nom, rattaché à celui de Bastien. Le vendeur le souhaitait ; moi aussi, car il jouissait d’une certaine notoriété dans la profession. En l’espèce, la préoccupation du vendeur était moins le prix qu’il pourrait en tirer, que la garantie que l’entreprise continuerait bien d’exister. Il peut y avoir dans l’acte de vente une grosse dimension affective, qu’il ne faut pas négliger.
Quand j’ai pris les commandes, j’ai dit aux salariés, « nous ne nous sommes pas choisis, je comprendrai très bien que certains de vous veuillent quitter le navire ». En l’occurrence ça n’a pas été le cas, mais j’ai vite découvert que l’ancienne direction avait donné à certains des qualifications et salaires dignes des grosses structures du CAC ! Or en rachetant un fonds de commerce, vous ne récupérez pas sa trésorerie ! Et vous devrez assurer les salaires supplémentaire des premiers mois, sans avoir en face le CA correspondant ! Voilà une autre leçon à retenir : bien s’informer sur les dimensions de masse salariale et de qualifications accordées !
Acte V : Racheter la société, d’autres enjeux !
Racheter une société n’est pas racheter le fonds ! Dans le cas de l’entreprise Verzotti, peinture et ravalement, Monsieur Bastien décide assez vite de racheter la société : il la reprendra en l’état, avec ses créances, dettes, contrats en cours. À cette occasion, Édouard devra constituer une holding : portant les actions de l’entreprise Bastien, elle lui permettra d’emprunter pour le rachat.
Dans ce cadre, l’entreprise continuera. Avec une nouvelle direction. Mais il est alors vital d’apprécier précisément le montant des actifs et des passifs. Il faut notamment que le vendeur apporte une « GAP », Garantie d’Actifs et Passifs, car dans la corbeille figure aussi tout ce qu’elle a pu produire dans les dix années précédentes. L’acheteur continuera d’assurer la garantie décennale.
On le voit, le challenge est d’une autre nature.
En l’occurrence, Monsieur Verzotti exigeait une date de signature à 6 mois. Or il faut en général un an pour disposer de tous les éléments, actifs, passifs, évaluations, montage financier, recherche de partenariats ou d’association, financements et finalisation de l’emprunt. Pour réaliser l’affaire, cela m’a donc un mi-temps complet, pendant six mois. Il fallait faire attention à tout, notamment diminuer le capital car l’entreprise disposait « d’un matelas » qui alourdissait considérablement le prix de vente… A cela s’ajoutent les points de vue et analyses des avocats, experts comptables, conseillers des différentes parties prenantes. Tous sont habilités à porter des précisions, évaluations. Mais l’ensemble complexifie sérieusement les données du « deal » : chacun doit prendre son risque. Et le rachat devient la rencontre de ces deux risques qui doivent finir par s’accorder.
De ces expériences, toutes concluantes, quelle leçon finale tire l’entrepreneur ?
Je conserve l’adage qu’avait énoncé, Monsieur Arthaud expert-comptable et enseignant à l’ESJDB, qui continue d’y exercer : « combien vaut une entreprise ? Elle vaut le prix qu’un acheteur sincère et véritable est prêt à mettre sur la table ». Toutes les parties prenantes peuvent sortir toutes les règles de calculs, les formules, les ratios… On peut vous apprendre à évaluer plus ou moins précisément la valeur de votre entreprise. Mais au bout du compte, son prix réel sera celui qu’un acheteur sincère, c’est-à-dire honnête, et véritable, réellement déterminé, pourra préciser. Tout le reste est littérature !
Propos recueillis par ©Hervé Resse